VIVE LE VENT, VIVE LE VENT, VIVE LE VENT D’HIVEEEEEEEEEEEEERRRRRRRRRRR…

On se rapproche de ce qui fut, tous les ans, la période la plus importante de ma vie de gamine : Noël ! Il me faut donc vous en causer.
J’attendais ça avec impatience. J’en trépignais même. Je savais que dès le premier week-end des vacances scolaires, on allait charger la voiture (avec ma mère, on n’était jamais déçus et le directeur du cirque Barnum pouvait aller se rhabiller question bagages et bordels en sacs), embarquer le clébard, préparer le sac à pique-nique (sandwiches pâté de foie, œuf dur, gâteaux secs et chips des fois qu’on tombe dans une congère et qu’on doive tenir huit jours sans aide extérieure) et fermer la maison en vérifiant bien qu’on n’avait rien oublié.
J’embarquais mon sac à Barbie et ma mère embarquait le sac à vomi. Parce qu’évidemment, j’étais malade en voiture. Du coup, on voyageait de nuit dans l’espoir que j’allais pioncer et que j’en oublierais d’être malade. Le jour où on a inventé le cachet qui empêche d’envoyer des gerbes partout dans la voiture fut un jour faste.


On arrivait donc de nuit. Dans un petit quartier tranquille d’une petite ville tranquille de l’Est de la France. Notre arrivée ne passait pas inaperçue vue que les chiens de mes grands-parents se mettaient à hurler, que notre toutou leur répondait, que les chiens du quartier s’y mettaient à leur tour, que mon grand-mère beuglait que « non de dieu on allait réveiller tous les voisins », que ma grand-mère braillait à mon grand-mère qu’on n’avait pas idée de crier pareillement, que mon père ronchonnait qu’il en avait plein les pattes d’avoir roulé de nuit et que c’était pas pour tomber dans un bordel pareil et tout se concluait par des gaufres.
Une fois les chiens de la maison calmés et ceux des voisins tirés au fusil à lunette, on pouvait enfin se poser dans le salon et procéder au rituel de la maison : la présentation des gaufres. Ma grand-mère nous installait autour de la table et posait au centre du meuble une assiette couverte d’alu qui faisait au bas mot 3 mètres de haut. Elle sortait les pots de confiture fraise et abricot et le sucre en poudre. Mon père attaquait la pile et ma mère entreprenait de me coucher dans la petite chambre, dans le lit de camp. J’entreprenais de lui dire que moi aussi je voulais des gaufres et que je voulais aller à table. Il faut dire qu’après avoir vomi pendant tout le trajet, j’avais un peu l’estomac vide. On se retrouvait donc à deux heures du matin à manger des gaufres parfois accompagnées de café au lait. Ensuite, on allait se coucher et on se disait très vite qu’on avait trop mangé et qu’on n’allait pas digérer. Un repas voire une collation où on ne mange pas à s’en faire vomir, ça ne vaut pas le coup !


Le lendemain, je me levais et je pouvais enfin profiter du paysage. Il y avait de la neige. Partout. On voyait les petites traces de pattes des oiseaux et c’était tout. Il faisait une chaleur infernale dans la maison et on ouvrait vite les fenêtres des chambres pour bien aérer. C’était le moment de prier Sainte Pleurésie qu’elle veuille bien nous oublier.
J’enfilais mes chaussons-chaussettes, ma robe de chambre en machin matelassé et je filais vers le salon. Et là, vous n’y croirez pas : on déjeunait ! On avait ressorti les gaufres qui restaient (y’en avait pas lourd faut dire), on avait rempli les bols de café au lait et posé sur la table le pâté de tête et le camembert. Comment voulez-vous démarrer une journée sans tartines beurre-camembert plongées dans le café au lait ? Je fais mon coming-out, je n’ai jamais pu déjeuner comme ça. Je voulais bien de la gaufre mais pas du reste !

On devait ensuite tirer au sort qui irait en premier à la salle de bains vu que les toilettes s’y trouvaient aussi et que ça provoquait une émeute si on avait dans l’idée d’y rester plus de 2 minutes montre en main. Moi, je m’en foutais un peu, j’aimais ça traîner en robe de chambre à jouer avec mes poupées, retrouver les bouquins laissés lors du séjour précédent, attendre les cousins et surtout zyeuter l’emplacement. Le seul et l’unique. Celui du sapin de Noël. Ma grand-mère attendait toujours que moi et mes cousins soyons là pour le monter afin que tout le monde participe. C’était comme de juste un sapin en faux (un vrai n’aurait pas tenu dans une atmosphère à 58°) et on avait hâte d’y accrocher les guirlandes un peu déplumées par des années d’usage, les décorations super fragiles et l’étoile tout en haut.
Une fois le sapin monté, ça voulait dire que les cadeaux s’annonçaient. On se chamaillait, on se foutait sur la margoule, le sapin tanguait, mon grand-père frisait l’attaque d’apoplexie parce qu’on l’empêchait de suivre l’arrivée du tiercé, c’était chouette.
Finalement, j’étais envoyée dans la salle de bains, j’enfilais le sous-pull acrylique bleu pétrole qui gratte, le pull sans manche orange à col en V, le pantalon en velours côtelé, les moon boots, le bonnet ou la cagoule honnie, le vilain blouson de ski corail/gris, les gants bleu marine et hop, dehors. On déboulait dans le jardin pour faire un bonhomme de neige et s’envoyer des briques de neige dans la tronche. Non vraiment c’était chouette.


Vers 11 heures, tout le quartier entrait en transes parce qu’on entendait deux cornes de brume qui immédiatement tout de suite faisaient sortir les bonnes dames de leur foyer avec le même porte-monnaie noir à la main, celui qui se ferme par deux trucs dorés qui se claquent et comporte au fond une fermeture éclair qui donne accès au réservoir à billets pliés en quatre. Se succédaient donc le boulanger et le boucher, tous deux en tube Citroën aménagé. Il stoppait au milieu de la route. Le conducteur passait à l’arrière et ouvrait l’auvent de la porte du fond ou du côté. On achetait donc son pain et si c’était un jour faste des religieuses ou des glands. Des fois on osait le baba au rhum mais ça faisait « osé ».
Le boucher, lui, proposait des trucs sympas (terrines, pâtés, quiches, gnocchis) ou qu’il était hors de question que j’ingurgite (steaks, tranche de foie, côte de porc). C’était chouette de voir les dames mettre un fichu sur la tête, des bottes fourrées aux pieds et un châle sur les épaules en se jetant de loin des « B'jour, madame Berlingot, dites donc kesski fait froid ! » (c’est vrai que pour un mois de décembre de ce coin reculé de l’Est de la France, c’était vachement un scoop).

On rentrait tout ça à la maison et en deux temps trois mouvements, c’était déjà l’heure du déjeuner. Un truc rapide et léger. Pâté de tête maison fait par mon grand-père et plateau de crudités, steak grillé, patates sautées, salade verte, fromages et gâteau à l’ananas caramélisé. Pour une raison qui m’échappait totalement, après ça, les hommes pionçaient allègrement et les femmes s’installaient sur le canapé pour bavasser en gloussant. Et nous, on repartait à l’attaque du bonhomme de neige et on tentait de convaincre le chien de se laisser mettre en laisse pour nous traîner sur le skateboard dans la neige. Les jours passaient sur le même rythme et on arrivait enfin au 24 décembre !
Dès le matin, on s’affairait en cuisine du côté des femmes, les hommes évitaient de traîner dans leurs pattes et partaient se balader ou allaient chercher le pain et les gâteaux au centre-ville (15 baguettes, 12 pains de seigle pour les huîtres, 8 brioches et autant de gâteaux-bûches pour dix personnes ….. des fois qu’on manque). Nous on se mettait en planque pour regarder le ciel. La lumière rouge qui annonçait le balisage du ciel pour la venue du Père Noël. Bon, en fait, le clignotant rouge de l’antenne géante de la gendarmerie mais personne n’avait jugé utile de nous détromper.


Les femmes tentaient de dire aux hommes de se raser et de mettre un beau pull. Les hommes disaient que « bordel, c’est les vacances » et que donc y’avait pas moyen même si VGE devait venir dîner ce soir. Les femmes, elles, mettaient quand même un chemisier et se refaisaient la mise en plis. On achetait une bombe de laque pailletée argent et on s’en foutait partout. Mes cousins avaient droit au smoking et à la chemise à jabot (rire sardonique de la gamine d’alors qui a gardé les photos en lieu sûr). Et on se mettait à table !
On attaquait avec des petits canapés qu’on avait commencé à tartiner vers 16h00 pour grignoter avec l’apéro en alternant avec des saucisses Jean Caby. On arrivait à l’heure du dîner et plus personne n’avait faim. On était donc prêts à attaquer l’entrée : coquilles saint Jacques avec le dessus gratiné et escargots farcis. On enquillait sur du rosbif avec des pommes dauphine et la salade verte, ceux qui chouinaient parce que la viande c’est une gentille bête qu’on a tuée avaient du boudin blanc (comme chacun sait issu d’une plante qui devait pousser dans le jardin) !
Y’avait toujours un plateau de charcuterie qui trouvait le chemin de la table quel que soit le menu et qui n’allait nulle part sans son frère jumeau le plateau de fromages. On ne s’avisait pas de finir un repas aussi raisonnable sans une portion de bûche à la crème au beurre dont tout le monde s’accordait à dire qu’elle était écoeurante (raison pour laquelle sans doute on en rachetait tous les ans) et qui du coup, devait être suivie, pour digérer, d’une portion de bûche glacée.

Tout ça nous menait à minuit facile et on nous annonçait qu’il allait falloir qu’on aille se coucher parce que le Père Noël n’allait pas tarder à passer. On était excités comme des puces, gavés de sucreries, on s’était déjà battus trois fois au moins, on avait essayé de se planter dans l’œil les petits personnages à la hache qui décorent la bûche….tu penses si on avait envie d’aller pioncer ! On allait d’abord coucher le plus petit d’entre nous. On nous foutait ensuite au lit. On attendait qu’il s’endorme, on se relevait et on allait dans sa chambre, plongée dans le noir, se mettre à hululer et à dire que le monstre allait le manger. Assez bizarrement, il se mettait à hurler et à appeler sa mère qui arrivait en nous promettant que ça allait barder si on avait encore foutu la trouille au petiot. Boauhhhhhhhhh …tout d’suite !
Finalement, tout le monde prenait sa marmaille sous le bras et repartait à la maison vers 2 heures du matin. J’étais donc couchée vers 2h et à partir de ce moment, toutes les 30 minutes, je disais « Ayé ? il est passé le Père Noël ? ». A 4h30 environ, mon père menaçant de me passer dans le broyeur à viande, ma mère se levait et ma grand-mère attendait déjà devant le sapin (laquelle des trois était la plus énervée ?). Je me ruais dans le salon et je me jetais sur les cadeaux. Tous les cadeaux. On me rappelait alors que tout n’était pas pour moi et c’était une salement mauvaise nouvelle… Tous les cadeaux avaient une étiquette en carton pliée en deux avec une ficelle qu’on scotchait sur un coin du cadeau. Il fallait donc chercher son prénom. Et l’ouverture prenait deux secondes tandis qu’on me demandait d’épargner le papier cadeau qui pouvait resservir ! Non mais pis quoi encore ! Il fallait tout de suite savoir ! Parce que là-dedans il y avait forcément une Barbie ou sa cuisine ou sa piscine ou sa maison et que ça ne pouvait plus attendre !
Les cousins devaient être équipés d’un radar détecteur spécial ouverture de paquet parce qu’ils arrivaient dans la foulée avec leurs jouets. Han ! Ça me plaisait bien aussi ces machins de garçons. Le bidule format Big Jim Alcor et son équivalent Actarus avec des costumes peints sur le corps …ouh là ! Là, je les ai drôlement enviés ! L’Action Joe avec ses cheveux en moquette, il aurait fait un sacré copain pour ma Barbie plutôt que ce freluquet de Ken.
Les hommes s’occupaient des bidules à piles pour les gamins et moi j’avais ma cousine adorée pour monter mes trucs Barbie d’après une notice de 12 pages rédigée en malgache. Elle était d’une patience qui égalait mon incapacité à monter ces machins tarabiscotés. Je les voulais tout de suite maintenant prêts à jouer ! Et qui n’a jamais monté la piscine Barbie de 1977 ne peut imaginer la torture mentale que ça représente ….


C’était sûrement la seule journée des vacances où on ne nous entendait pas. On ne se foutait pas de peignées, on ne bramait pas, on ne cassait pas les verres de lampes à huile posées sur un meuble du salon (quelle idée)… mais la trêve était de courte durée. Dès le lendemain, on avait déjà perdu la moitié des petits accessoires, foutu une beigne ou deux, mené le grand-père aux limites du break-out mental. On était redevenus nous-mêmes. On était prêts à garder précieusement tous ces souvenirs en tête. Rien qu’en fermant les yeux, j’y suis à nouveau. Tiens, je vais aller m’acheter une Barbie en sortant du boulot….

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