LES LIVRES DE FESSES DE PAPA

Pour se renseigner sur les femmes, la génération de garçons des années 60 avait le catalogue de la Redoute, « à Roubaix », seul moyen pour elle de voir de la chair, même si elle était moulée dans des gaines de grands-mères.
Celle des 80/90’s, c’était Canal + et son mythique porno du samedi soir, avec deux fois plus de gens qui le regardaient en codé qu’en clair et dont la moindre évocation d’une passoire suffit désormais à leur déclencher une érection…
Les p’tits jeunes de nos jours poussent joyeusement avec Jacquie Et Michel et leurs films fleurant bon le glamour, l’hygiène rigoureuse et les décors bucoliques des caves des cités…
Mais la génération des années 70/80, la mienne, c’était les livres de fesses de papa, les fameux Playboy et autres Newlook. A moins d’avoir des parents se baladant à poil chez soi ou d’espionner sa/ses sœur(s), ces images de papier étaient les seules représentations que nous avions de la femme. Ce n’était pas forcément pour se rincer l’œil mais surtout pour nous donner de vagues réponses aux questions claires que nous nous posions presque tous.


Vers 10/12 ans, les mystères de la vie commençaient à nous travailler. Issue d’une génération soi-disant libérée, il n’en restait pas moins que le sexe, et la sexualité en générale, relevait encore du tabou. On se voyait mal demander à nos parents : « comment on fait les bébés ? » Les plus gonflés ayant osé étaient repartis avec une phrase-bateau du genre : « T’es trop jeune pour savoir ça ! » ou carrément une baffe dans la gueule
Avec ma voisine de palier, nous nous interrogions là-dessus dès l’âge de 8/9 ans. Précoces ! Nous en débattions très souvent. Je revois la bonne copine m’exposer un jour sa nouvelle théorie, très sportive. Debout devant son tableau noir, une craie à la main, elle dessina du mieux qu’elle put, donc mal, un homme et une femme se faisant face à face. Sa théorie était la suivante. D’après elle, pour faire un bébé, l’homme propulsait une sorte de graine de sa zigounette (elle traça une flèche partant du bas du pantalon du mec) et la femme devait l’attraper à distance par son nombril (la flèche s’arrêta sur le ventre de la nana). De la pelote basque quoi ! La graine tombait dedans, tournait, se mélangeait et au bout de plusieurs mois, pouf ! Un alien à la maternité... Qu’est-ce qu’on en chiait quand même !

Certains pourraient nous dire que l’école était censée répondre à nos interrogations. Je leur dirais que s’ils pensaient aux cours d’éducation sexuelle, il fallait quand même attendre le collège et la 4e, ce qui était assez tard. On savait déjà tout ce qu’il fallait savoir à ce moment-là. Cela dit, il y avait toujours dans ces classes un ou deux neuneus de 14/15 ans ne sachant toujours pas que l’asticot entre leurs jambes ne servait pas seulement à faire leur pissou…
Ces cours leur dévoilèrent peut-être le mode d’emploi, avec en bonus les histoires de règles des bonnes femmes qui nous gâcheront tant de soirées plus tard, mais rien de plus. Juste du factuel. Pour ce qui était de la sensualité, de l’érotisme et des mille et une façons de bien faire l’amour, il ne fallait pas rêver. Pour ça, il n’y avait pas de notice.
L’éducation sexuelle à l’école, ce n’était qu’un cours de biologie de plus digne de la reproduction des porcs de ferme.


Avec des parents autistes sur le sujet, et un manque criant d’informations, il était évident que cela attiserait deux fois plus notre curiosité. Pourquoi tant de mystères ? Pour nous, cela cachait un secret immense. Nous savions juste que c’était lié à la nudité et pensions donc logiquement que la réponse nous serait donnée en feuilletant les magazines interdits de papa. C’était aussi simple que ça. De plus, certains gamins portant haut la coupe au bol avaient remarqué les étranges, mais très agréables, sensations qu’ils éprouvaient en regardant des femmes nues. Une bonne occasion de joindre l’utile à l’agréable.

Avec la libération des mœurs des années 70, le choix de revues olé-olé ne manquait pas. Lui, Playboy, Newlook, Penthouse plus tard, Photo etc. Quand on les regarde aujourd’hui, lorsque l’on tombe dessus en brocante, on est stupéfait de voir à quel point c’est soft. Il y a clairement eu une surenchère dans la photo de charme. Le nu artistique n’existe plus. Désormais, c’est plans gynécologiques et poses de chienne dominée. On est passé du soft au hard puis au trash.
Mon père n’achetait que Newlook, même s’il pouvait lui arriver de ramener un concurrent juste pour voir une people du moment à poil dedans. La curiosité poussait à l’achat, aussi bien sur Victoria Principal que Danièle Gilbert…


Plus que les pépés à l’intérieur, mon père aimait les reportages de Newlook. De grandes et belles photos pleine page sur des sujets aussi étonnants qu’improbables comme les requins, la vie sur les plates-formes pétrolières ou la chasse aux rats dans les égouts de Paris.
Chaque mois, il ramenait le nouvel exemplaire, le plus discrètement possible. Je me souviens, il le planquait dans son France-Soir. Mais je le voyais quand même. Il était là et il fallait donc que je le feuillette pour savoir si les nanas allaient être à mon goût dedans. Rien que ça, c’était excitant.

En général, la fenêtre de tir pour atteindre ces revues prohibées étaient le mercredi après-midi. Pas d’école. N’étant pas inscrit à un truc de sport ou artistique, et étant encore trop jeune pour sortir tout seul, ou pas plus loin que le Prisunic du coin, je restais à glander à la maison. La chambre parentale était juste à côté. Plutôt simple. Non ! Il fallait affronter une redoutable sentinelle : ma mère ! Non pas qu’elle se doutait de quelque chose mais moi je le pensais. La culpabilité vous fait imaginer de ces trucs…
Le problème venait souvent du fait que ma mère, prototype même de la femme au foyer de ces années là, ne décollait pas de la baraque. Pendue au téléphone, à jacasser pendant des heures avec ses amies ou frangines sur des sujets aussi passionnants que le p’tit Grégory ou les pertes blanches de Lady Di, cela me donnait peu d’occasions pour aller dans la chambre, faire le tour du lit, aller côté paternel, soulever la couverture dans le coin et y trouver le nouvel exemplaire posé sur le haut de la pile.
J’ai développé pendant ces années là une aptitude digne des meilleurs ninjas pour m’introduire quelque part puis repartir sans qu’on me voie. En chaussettes pour atténuer le bruit sur le parquet, rasant les murs, aux aguets au moindre retour maternel, je me glissais, serpentais, me coulais vers la pile et ouvrais le new Newlook le cœur battant. J’y étais ! Il fallait faire vite. Je n’avais que quelques secondes pour le feuilleter et espérer y trouver les précieux gros seins, tout juste bonnet C mais qui, à l’époque, suffisaient à m’expédier directement dans la dimension du bonheur.


Tout cela était digne d’une séquence Ushuaïa et en bien plus dangereux car me faire prendre en flag par ma mère aurait été un drame terrible. Pensez donc ! Son innocent petit garçon si bien habillé, si bien peigné, si bien élevé, regardant en cachette des femmes nues ? Mais quelle horreur ! Quelle abomination ! C’était un coup à se faire déshériter sur le champ. Mais comme nous n'avions ni argent, ni biens...
Par chance, je ne me suis jamais fait gauler et j’ai presque toujours atteint mes objectifs dans la semaine. Parfois, c’était très décevant. Avec trois ou quatre pétasses dénudées par exemplaire, je pouvais supposer qu’il y en aurait au moins une à mon goût. Hélas, il arrivait assez souvent que le bouquin fusse vide. Rien qu’une succession de nanas maigres, bronzées, avec des coupes de cheveux courtes et géométriques, pas de seins, des tétons bruns et pointus, des gueules sèches et sévères. Beurk ! Le mois était foutu. Tout ce travail et cette attente pour rien. Quelle déception ! Les années 80 ne furent pas très gentilles avec les amateurs de formes
Et même quand une laitière demi-écrémée pointait l’un de ses modestes pis, c’était pas Byzance. Je n’avais pas le temps de la détailler comme j’aurais voulu. C’était surtout ça qui m’agaçait le plus. Je ne pouvais donner que des coups d’œil furtifs. Du fait de l’excitation, de la promesse de quelque chose que j’attendais tant, et du danger, les émotions étaient brutes, violentes et délicieuses certes, mais trop éphémères. J’aurais voulu prendre mon temps et savourer l’instant. Déjà à l’époque, je montrais des dispositions à la valse lente avec les femmes…

Heureusement, il y avait une alternative : ma voisine de palier. Encore elle. Et comme ses parents bossaient toute la journée, nous avions tout le temps du monde pour nous rincer l’œil chez elle. Nous en avons passé des mercredis après-midi ainsi, à feuilleter tout d’abord les Union de sa mère, véritable courrier du cul, bidonné à mort, avant d’enchaîner sur les revues de son père, qui était plus branché Playboy et Lui. Cela permettait de varier le menu.
Passant les pavés de Norman Mailer qui truffaient ce genre de magazines afin de donner bonne conscience à leurs acheteurs bien qu’ils ne les lisent jamais, nous explorions ces bouts de viande humains s’étalant devant nos jeunes yeux. C’était quand même pas joli-joli. Et il n’y avait que des femmes. C’est pas que ça me dérangeait, loin de là, mais la voisine si, et elle se plaignait souvent qu’elle aurait aimé se renseigner de la même façon sur les garçons… Je précise que nous n’avons jamais joué au docteur. C’était pas notre genre, éducation coincée, presque chaste. La nudité nous terrifiait. Et c’est sans doute pour ça que nous avons eu ensuite une vie privée aussi intense et dissolue chacun de notre côté…

Impossible également pour moi de passer sous silence les BD italiennes de cul importées par Elvifrance. En vente partout, aussi bien dans les gares, dans des présentoirs mobiles, que dans les bleds les plus reculés de France, elles ont marqué toute une génération, la mienne. Je me rappelle qu’on en trouvait même chez ma grand-mère dans le seul bar-tabac du village faisant office de librairie, station service, poste, livraison de pain, épicerie, cordonnerie et cinéma…


Les titres étaient nombreux et variés. Mafioso, Prolo, Sam Bot, Maghella, Les Meufs, sans parler de centaines de hors-série. Il y en avait pour tous les (mauvais) goûts. Peu chers, épais, mon père en achetait surtout pour se marrer. Et il y avait de quoi ! Avec ses dessins improbables, souvent pompés ailleurs, parfois chez Marvel, et des histoires complètement branques, c’était du délire pur et simple. Nous passions des vengeances posthumes aux extraterrestres queutards ! Les mafieux d’opérette et autres histoires de prostiputes plus malines que leur maquereau ne manquaient pas, le tout dans un déluge d’ultraviolence gratuite, d’humour lourdingue et de dialogues orduriers et racistes. Incroyable !


Je fus un redoutable voleur de ces BD petit format, facile à dissimuler donc, que mon père planquait dans son tiroir de table de nuit avant que ma mère ne les jette compulsivement, n’aimant pas ce genre de littérature et préférant nettement ses tabloïds lui livrant hebdomadairement sa dose de vie des riches racontée aux pauvres.


Vu la taille de ces BD, je pouvais même m’offrir le luxe de les garder un peu dans ma chambre afin de les lire à fond. Au début, c’était les dessins affichant crânes, sang et tripes qui attisaient ma curiosité. Toutes ces histoires se terminaient généralement très mal, l’encre noire se déversait quasiment à chaque page.


Devenant ado, je compris le 564151e degré de ces BD et me mis à les apprécier pour ce qu’elles étaient, un joyeux foutoir délicieusement vulgaire et con mais totalement assumé. Un de mes meilleurs souvenirs de BD.

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