ET D'ABORD, LES MECS, C'EST TOUS DES NULS !

Il fut un temps que les moins de... euh... enfin les plus jeunes ne peuvent pas imaginer. Celui du contact sans intermédiaire technologique (sauf le téléphone FILAIRE – si, si !). Il fallait donc se résoudre à un contact direct et ça, c’était pas de la tarte.


La foire aux bestiaux commençait le jour de la rentrée. On passait en revue le capital masculin en devenir et d’emblée on écartait les causes perdues (pantalon en velours, baskets à scratch ou gourmette à prénom).
Ensuite on passait à la consultation du réseau de renseignement, autrement dit, on se rencardait auprès des copines : "- Tu le connais celui-là ? Il s’appelle comment ? Il est en quelle classe ?"
Parce qu’évidemment, ça ne pouvait présenter un intérêt que pour les nouveaux… Ceux de l’année dernière, on les avait déjà passés en revue et on s’en foutait comme de son premier bracelet turquoise.
Une fois qu’on avait rassemblé quelques informations on faisait le distinguo entre ceux qui seraient dans la même classe et ceux qui seraient dans une autre (qui ne peut être qu’une classe au-dessus vu qu’il est hors de question qu’on se commette avec un gnome d’un an de moins). Parce que là, voyez-vous, le traitement différait selon le lieu de résidence du gars en question :

1/ dans la même classe, bon c’est sympa mais un peu moins valorisant pour les copines. D’un autre côté, ça va demander moins d’efforts. On fait mine de l’ignorer, cela va de soi et on attend qu’il entame les hostilités. Au pire, s’il ne fait pas mine de bouger, ça fera un pote, histoire de ne pas perde la face devant les copines (« - Ouais Laurent il est trop mignon mais bon tu vois il n’est pas assez mature, j’ai réfléchi, et bon ben c’est un copain quoi ! »). On tâte quand même le terrain à coups de petits mots écrits sur des morceaux déchirés de cahier d’exercice de maths (bon faut être honnête, celui-là on l’ouvre très peu). On a le choix du style : soit séductrice « - Et c’est quoi ton groupe préféré ? C’est quoi ta couleur ? Il est trop sympa ton T-shirt XTC ! », soit petite merdeuse en devenir : « - Il est sympa ton pote, tu me le présentes ? Nan, je te prête pas ma gomme Snoopy, sauf si tu me files un truc en échange ! M’asseoir à côté de toi ? Et puis quoi encore ? Mais ça va pas non !  » ;


2/ dans une classe supérieure, là, faut sortir les grands moyens parce que c’est du lourd. Il en va de notre prestige. Fini les manœuvres d’évitement, il faut passer à la célèbre phase d’attaque « Je te regarde mais tu n’existes pas ». Vu qu’on est interdite de maquillage, qu’on est en 1985, que la sobriété n’est pas franchement de mise, on se précipite le matin dans les toilettes pour appliquer ce discret maquillage qui a fait les beaux jours de Boy George : fards mauve et rose, crayon noir et mascara turquoise. Bon, on n’oublie pas le roll-on brillant goût cerise des fois qu’il défaillerait à la vue de nos lèvres sensuelles, collantes et baveuses.
Ensuite, dès la première récré, on traîne une voire deux copines vers son coin de cour de récré (au besoin, on les empoigne par le bras, le cou et même les cheveux si elles rechignent) et on se poste dans un coin stratégique. Dès qu’il apparaît, on rit fort, on glousse, on pouffe et surtout on cherche son regard. Dès qu’il regarde, on vrille direct ses yeux dans les siens et on tient. On fait passer un message vibrant dont on ne sait pas encore que la signification lui est totalement inconnue (ça on le saura de nombreuses années plus tard en discutant avec les exemplaires mâles de ces corniauds devenus adultes qui admettront n’avoir jamais compris ce que pouvaient bien vouloir ces greluches caquetantes).

Et on attend.

Et on attend.

Et on trouve le temps long.

On décide donc d’envoyer la bonne copine.

- Tu vas aller voir Christophe et lui demander ce qu’il pense de moi, mais fais gaffe hein… Tu lui dis pas que c’est moi qui t’envoie, et s’il demande, tu dis que c’est juste pour savoir et que nan tu sais pas ce que je pense de lui si des fois il veut savoir !

Et tu attends de savoir ce que ça a donné en te faisant des torticolis aux intestins. La bonne copine revient enfin avec sur le visage un air de componction qui sied à cette si estimable corvée. Et là, elle délivre la réponse tant attendue qui, la plupart du temps, est un vent, une rebuffade, un camouflet, bref un « Même pas t’y penses ! » de toute beauté sur l’air de « Si j’avais voulu lui causer, j’y serais allé donc si j’y suis pas allé c’est que ta copine, elle me plait pas ! ».
Et là, il faut savoir garder un air de dignité totale et même, si on en est capable, jouer l’air du « - Ouais j’t’ai demandé d’y aller mais en fait, il me plait pas ce mec, c’était juste pour voir mais bon s’il avait dit oui, j’aurais dit nan ! ».

Ensuite, on rentre à la maison, on s’enferme dans sa chambre et on écoute Careless Whisper en beuglant comme un veau, allongée sur le lit et on refuse de descendre manger parce que « la vie c’est pourri ! ». Si l’affaire est sérieuse, on peut même pousser la tentation mortifère jusqu’à écouter Je Suis Malade, mais là faut vraiment être au fond du trou.


Quand on a séché ses larmes, on dégaine l’arme ultime : le carnet intime. Celui avec le pierrot sur la couverture et qui ferme avec un petit cadenas. On prend son plus beau stylo plume à encre violette et on écrit tout le mal qu’on pense des garçons, des copines qui sont nazes comme entremetteuses et de la vie qui est injuste. On n’oublie pas de faire de petites bulles sur les i à la place d’un bête point.
On remet la K7 des slows, celle qu’on a faite en repiquant des bouts de chansons sur NRJ et qu’on a déjà copiée 45 fois pour les copines …. Et d’abord, les mecs, c’est tous des nuls !

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