L’INSTITUT DES MERVEILLES…CIRCA 1977

Nous sommes en banlieue parisienne. Les immeubles HLM ne sont pas encore des lieux qu’on fuit. Il fait bon y vivre et une petite bourgeoisie formée de jeunes couples souvent venus de province pour trouver du travail à Paris y réside. On souhaite faire la coupure avec les intérieurs provinciaux meublés de sombres et d’imposantes armoires. On s’enthousiasme pour les intérieurs « cosy » quoique souvent décorés en verre, alu, orange et marron. On aspire à laisser la province derrière soi. On est parisien, ou tout comme, et l’apparence doit accompagner cette transition. Les mères de famille, en province, allaient chez le coiffeur pour les grandes occasions mais on se limitait sur les dépenses futiles. Mais Paris, c’est autre chose. On s’y habille autrement. On y paraît différemment. La meilleure preuve de cette transformation éclate aux yeux de tous quand on retourne au « pays ». L’accueil familial ne saurait se priver de la formule rituelle :


- Alors les parisiens ? Vous avez fait bonne route ?

Dès le lendemain, tel le deuxième effet Kiss Cool, on constate que la parisianité a vraiment frappé quand on sort acheter le pain. On y croise une voisine, une cousine, une copine qui ne manque pas de lancer, avec cet air mi-jaloux, mi-vachard « Hé bé, t’es ben une parisienne toué, ‘gar' donc comment t't’habilles pour 'ller ach'ter l'pain ! ».



S’ensuit une débauche de commentaires sur l’allure, la tenue, la coiffure, le maquillage de ces gens montés à Paris. A croire que, pour acheter le pain, quand on habite à plus de 200 kms de Paris, on sort en pyjama/pantoufles ou qu’on se drape dans les rideaux de douche pour bien montrer qu’on est dans un acte ordinaire de l’existence qui ne nécessite aucun apprêt !
Hé bah oui ! Voilà ! On a pris des habitudes à la grande ville. On fait les magasins sans crainte que la voisine porte les mêmes fringues et on s’apprête ! Le grand mot est lâché. On se maquille, on se parfume, on s’habille à la mode. Et pour tenir ce statut de parisienne fraîche éclose, on ne lésine pas sur les visites au temple des merveilles. L’institut. Celui qui a ouvert au pied de l’immeuble.
Une vitrine tout en verre fumé et décor de caravansérail. On pénètre dans cet antre du plaisir et aussitôt c’est un choc des sens. La lumière est plutôt chiche ou artificiellement adoucie, des teintes chaudes qui donnent un air de mousmé alanguie à la peau caramel aux femmes qui peuplent cet endroit. Et l’odeur. Ou plutôt les odeurs, les senteurs, les fragrances…ce mélange de produits de teinture pour cheveux, de vernis à ongles et de parfums pour dames. On y chuchote, on y rit, on y glousse…un entre soi de donzelles où le temps n’existe plus. Qu’il pleuve ou qu’il vente au dehors, que le mari attende ou que les enfants réclament leur mère, que le patron gueule ou récrimine…peu importe. On retrouvera tout ça bien assez tôt. Mais après.


On pousse la porte d’entrée, on referme la porte, on pousse le lourd rideau qui masque l’intérieur et on y est. A droite, contre le mur, des miroirs font face aux sièges profonds. Chacun est surmonté d’un bras articulé coiffé d’un casque énorme et conique qui s’ouvre en deux pour avaler les permanentes et autres mises en plis. Presque tous les sièges sont occupés. Les têtes sont de toutes les couleurs, les sempiternelles blouses sont nouées sous le menton et un bras pend mollement hors du siège. Parce que dans un institut qui se respecte, on se fait papouiller les cheveux ET faire les ongles. Une jeunette est assise sur un pouf très bas et applique consciencieusement un beau vernis rouge vif en parlant de la dernière une d’Ici Paris ou du dernier 45T de Patrick Juvet.
Et je suis plantée là. Moi. Une trumette de 6 ans qui en prend plein les mirettes en tenant la main de maman. Je me dis « ouahouh, là on est entre filles et ça y est ! j’y ai droit » ! Mon entrée de petite fille modèle est ponctuée de « ohhhhhhhhhh qu’elle est mignonne » et de « mon dieu c’est tout le portrait de sa mère » tandis que je lache la main maternelle pour aller faire le tour du propriétaire. J’ai envie de mettre un truc sur deux dans ma poche pour les remmener à la maison et les montrer aux copines, des pinceaux, des brosses, des boites, des onguents, des pinces à cheveux………. rhaaaaaaaaaa l’extase !


Enfin, je prends place dans un de ces mirifiques fauteuils : mes pieds battent la campagne et je me retrouve avec un coussin sous les fesses pour me rehausser. Je regarde dans le miroir et je vois au-dessus de moi une dame très blonde, très maquillée et très classe dans son chemisier col pelle à tarte en satin rose thé qui agite d’une main une paire de ciseaux et de l’autre un peigne et lance à ma mère « Alors ? On lui fait quoi à la mignonne ? ». C’te question !
Avec ma mère, tous les jours, on chante une chanson quand on est toutes les deux. On met le 33T sur la platine et on la chante parce qu’on la connait par cœur ! Accrochez-vous les amygdales….on chante « Donnez-nous 1000 colombes » de Mireille Mathieu ! Et ouais ! Alors laissez-moi vous dire que pour le choix de la coupe, ça va être vite plié ! Ce sera la coupe de Mimi. La même que celle de Mireille Darc et de Serge Lama. Bon voui ok d’accord, tout le monde sait que la Mimi se fait faire sa méga coupe chez Carita et pas dans un salon/institut de banlieue aux sièges de velours marron mais fi mes amis ! On la veut cette coupe et on va l’avoir !


Et on va rester sagement assise à voir la dame tournicoter et faire voler les mèches de cheveux et on tendra l’oreille pour saisir les conversations des dames qui parlent amants, famille, boulot et show-bizz. Et on n’aura jamais autant qu’à cet instant l’intime conviction de faire partie d’une grande famille, celle des femmes !

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